L’évaluation de la production scientifique des chercheurs et des laboratoires détermine à l’Université l’habilitation des diplômes, l’accréditation des équipes et la carrière comme la promotion des enseignants-chercheurs.
Cette évaluation se fondait en toute légitimité sur l’évaluation des travaux de recherche par les pairs et pouvait donner lieu à de larges débats tant en ce qui concerne la qualité de la recherche que les supports de publication (revues, livres etc.). Cette époque "préhistorique" est terminée. A l’époque de l’homme numérique et à l’heure de la google-civilisation on tend à lui préférer aujourd’hui l’évaluation bibliométrique qui évite aux évaluateurs d’avoir à lire les travaux qu’ils expertisent en ne fondant leur jugement que, par exemple pour l’Impact factor, sur le niveau de citation des revues pour l’essentiel nord-américaines.
Passons sur les biais méthodologiques de cet Impact factor, passons encore sur la normalisation des recherches et des chercheurs qu’il produit en les conformant aux intérêts scientifico-économiques américains, passons encore sur le quasi monopole qu’il confère aux organismes scientifiques et éditoriaux américains sur le "marché" scientifique, passons encore sur le pouvoir de domination idéologique, linguistique et culturel qu’il apporte au "rêve américain", il est des disciplines scientifiques où sa commodité l’impose sans compromettre le devenir des recherches et des chercheurs. Il en est d’autres où ce système d’évaluation constitue une normalisation idéologique à l’intérieur même de la discipline en favorisant certains courants de pensée (soluble dans le modèle anglo-saxon) et en en stigmatisant d’autres (les plus européens). Après avoir été longtemps rétive au "rêve américain", l’establishment de la psychologie à l’Université s’engouffre dans l’évaluation bibliométrique, dispositif par lequel la Nomenklatura de la psychologie pourra assurer à terme la promotion des idéologies cognitivo-comportementales de l’homme performant et l’exclusion définitive de la psychanalyse de l’université.
Une commission dite AERES/CNRS/CNU a consacré au début de l’été ce formidable pouvoir de normalisation et de destruction massive, non sans devoir ménager quelques susceptibilités "françaises". Conscient de la gravité de la situation, le SIUEERPP a adressé à Ewa Drozda, Présidente de la 16e section du CNU et à Elisabeth Demont, Vice-Présidente, seules élues syndicales de cette commission, la lettre suivante :
Date : 8 septembre 2008 11:56:20 HAEC
Objet : Liste des revues
Séminaire Inter-Universitaire Européen
d’Enseignement et de Recherche
en Psychopathologie et Psychanalyse
A Ewa Drozda-Senkowska, Présidente du CNU 16e section
A Elisabeth Demont, Vice-Présidente du CNU 16e section
Chères Collègues ,
Le SIUEERPP s’est ému de la liste de classement des revues qui, récemment, a été diffusé dans les milieux de la psychologie et qui prétend constituer « une première classification des revues de psychologie dont l’objectif explicite était de proposer aux comités d’évaluation de l’AERES, aux responsables des unités de recherche (UMR et EA) et à la communauté des enseignants-chercheurs et chercheurs en psychologie un outil commun d’évaluation et d’auto-évaluation des publications sous forme d’articles scientifiques. » Cette liste aurait été établie « à partir d’une liste des revues la plus exhaustive de l’APA » et le classement qu’elle propose procéderait de la valeur d’Impact factor de chaque revue. Avertis des critiques qu’un tel classement allait produire, les membres de la commission auraient provisoirement accepté de « relever » le classement de certaines revues francophones.
Le SIUEERPP, qui rassemble plus de deux cent trente membres dont les trois quarts sont Maîtres de conférences ou Professeurs de psychopathologie clinique, soit la plus large majorité des cliniciens à l’Université relevant de la 16ème section du CNU que vous présidez, condamne et refuse ce dispositif d’évaluation fondé sur une logique bibliométrique et quantitative ignorante de la réalité concrète du travail éditorial des revues.
Nous comprenons votre préoccupation d’établir des critères d’évaluation transparents, commodes et équitables, qui puissent aider les chercheurs et les instances qui les évaluent. Nous avons apprécié votre souci de ménager les susceptibilités des francophones, qui vous a conduit à « relever » certaines revues dans ce classement. Mais de telles concessions, pour « arrangeantes » qu’elles soient dans le champ disciplinaire qui est le nôtre, ne sauraient remplacer un véritable travail de concertation communautaire et disciplinaire à même de créer les conditions d’une « authentique évaluation par des pairs ». Ce qui suppose a minima que les Sociétés savantes des différentes sous-disciplines de la psychologie soient consultées et invitées à établir les critères spécifiques de leurs productions scientifiques. Faute de quoi les systèmes d’évaluation pourront toujours légitimement apparaître comme des dispositifs de normalisation épistémologique et sociale. Ainsi n’ignorez-vous pas, par exemple, que nous inciter, nous cliniciens, à aligner nos recherches sur le modèle anglo-saxon, conduit purement et simplement à nous inviter à consentir librement à notre propre exclusion de l’Université.
Enfin, et ce n’est pas la moindre des choses, la validité de l’Impact factor en tant que critère bibliométrique se trouve largement remis en cause au sein même des milieux scientifiques qui l’avaient d’abord adopté. On tend à lui préférer les facteurs H et M et on invite fermement à la prudence en convenant que « pour l’évaluation, la bibliométrie est un peu comme le sel dans la soupe. Sans lui, on a du mal à savoir si elle est bonne ou mauvaise. Mais il ne fait pas le plat pour autant, et point trop n’en faut. », ou encore « il faut bien sûr de la vertu pour vraiment lire ces articles (et pas seulement le titre) […]. C’est pourtant la démarche qui est de loin la plus utile à une évaluation efficace et juste." (Philippe Vernier, Président de la section 24 "Interactions cellulaires" du CNRS).
Vous conviendrez aisément, chères collègues, qu’une fraîche conversion à la vertu évaluative de l’Impact factor dans une discipline aussi rhapsodique que la psychologie pourrait produire des conséquences catastrophiques pour l’ensemble de notre communauté.
Nous vous demandons donc de bien vouloir renoncer à ce classement bibliométrique des revues et de créer, en tant qu’élues syndicales, les conditions d’une authentique évaluation fondée sur la valeur des travaux et l’estime des pairs.
Dans cette attente, nous vous prions de croire, chères collègues, à l’expression de nos pensées les plus cordiales.
Cette évaluation se fondait en toute légitimité sur l’évaluation des travaux de recherche par les pairs et pouvait donner lieu à de larges débats tant en ce qui concerne la qualité de la recherche que les supports de publication (revues, livres etc.). Cette époque "préhistorique" est terminée. A l’époque de l’homme numérique et à l’heure de la google-civilisation on tend à lui préférer aujourd’hui l’évaluation bibliométrique qui évite aux évaluateurs d’avoir à lire les travaux qu’ils expertisent en ne fondant leur jugement que, par exemple pour l’Impact factor, sur le niveau de citation des revues pour l’essentiel nord-américaines.
Passons sur les biais méthodologiques de cet Impact factor, passons encore sur la normalisation des recherches et des chercheurs qu’il produit en les conformant aux intérêts scientifico-économiques américains, passons encore sur le quasi monopole qu’il confère aux organismes scientifiques et éditoriaux américains sur le "marché" scientifique, passons encore sur le pouvoir de domination idéologique, linguistique et culturel qu’il apporte au "rêve américain", il est des disciplines scientifiques où sa commodité l’impose sans compromettre le devenir des recherches et des chercheurs. Il en est d’autres où ce système d’évaluation constitue une normalisation idéologique à l’intérieur même de la discipline en favorisant certains courants de pensée (soluble dans le modèle anglo-saxon) et en en stigmatisant d’autres (les plus européens). Après avoir été longtemps rétive au "rêve américain", l’establishment de la psychologie à l’Université s’engouffre dans l’évaluation bibliométrique, dispositif par lequel la Nomenklatura de la psychologie pourra assurer à terme la promotion des idéologies cognitivo-comportementales de l’homme performant et l’exclusion définitive de la psychanalyse de l’université.
Une commission dite AERES/CNRS/CNU a consacré au début de l’été ce formidable pouvoir de normalisation et de destruction massive, non sans devoir ménager quelques susceptibilités "françaises". Conscient de la gravité de la situation, le SIUEERPP a adressé à Ewa Drozda, Présidente de la 16e section du CNU et à Elisabeth Demont, Vice-Présidente, seules élues syndicales de cette commission, la lettre suivante :
Date : 8 septembre 2008 11:56:20 HAEC
Objet : Liste des revues
Séminaire Inter-Universitaire Européen
d’Enseignement et de Recherche
en Psychopathologie et Psychanalyse
A Ewa Drozda-Senkowska, Présidente du CNU 16e section
A Elisabeth Demont, Vice-Présidente du CNU 16e section
Chères Collègues ,
Le SIUEERPP s’est ému de la liste de classement des revues qui, récemment, a été diffusé dans les milieux de la psychologie et qui prétend constituer « une première classification des revues de psychologie dont l’objectif explicite était de proposer aux comités d’évaluation de l’AERES, aux responsables des unités de recherche (UMR et EA) et à la communauté des enseignants-chercheurs et chercheurs en psychologie un outil commun d’évaluation et d’auto-évaluation des publications sous forme d’articles scientifiques. » Cette liste aurait été établie « à partir d’une liste des revues la plus exhaustive de l’APA » et le classement qu’elle propose procéderait de la valeur d’Impact factor de chaque revue. Avertis des critiques qu’un tel classement allait produire, les membres de la commission auraient provisoirement accepté de « relever » le classement de certaines revues francophones.
Le SIUEERPP, qui rassemble plus de deux cent trente membres dont les trois quarts sont Maîtres de conférences ou Professeurs de psychopathologie clinique, soit la plus large majorité des cliniciens à l’Université relevant de la 16ème section du CNU que vous présidez, condamne et refuse ce dispositif d’évaluation fondé sur une logique bibliométrique et quantitative ignorante de la réalité concrète du travail éditorial des revues.
Nous comprenons votre préoccupation d’établir des critères d’évaluation transparents, commodes et équitables, qui puissent aider les chercheurs et les instances qui les évaluent. Nous avons apprécié votre souci de ménager les susceptibilités des francophones, qui vous a conduit à « relever » certaines revues dans ce classement. Mais de telles concessions, pour « arrangeantes » qu’elles soient dans le champ disciplinaire qui est le nôtre, ne sauraient remplacer un véritable travail de concertation communautaire et disciplinaire à même de créer les conditions d’une « authentique évaluation par des pairs ». Ce qui suppose a minima que les Sociétés savantes des différentes sous-disciplines de la psychologie soient consultées et invitées à établir les critères spécifiques de leurs productions scientifiques. Faute de quoi les systèmes d’évaluation pourront toujours légitimement apparaître comme des dispositifs de normalisation épistémologique et sociale. Ainsi n’ignorez-vous pas, par exemple, que nous inciter, nous cliniciens, à aligner nos recherches sur le modèle anglo-saxon, conduit purement et simplement à nous inviter à consentir librement à notre propre exclusion de l’Université.
Enfin, et ce n’est pas la moindre des choses, la validité de l’Impact factor en tant que critère bibliométrique se trouve largement remis en cause au sein même des milieux scientifiques qui l’avaient d’abord adopté. On tend à lui préférer les facteurs H et M et on invite fermement à la prudence en convenant que « pour l’évaluation, la bibliométrie est un peu comme le sel dans la soupe. Sans lui, on a du mal à savoir si elle est bonne ou mauvaise. Mais il ne fait pas le plat pour autant, et point trop n’en faut. », ou encore « il faut bien sûr de la vertu pour vraiment lire ces articles (et pas seulement le titre) […]. C’est pourtant la démarche qui est de loin la plus utile à une évaluation efficace et juste." (Philippe Vernier, Président de la section 24 "Interactions cellulaires" du CNRS).
Vous conviendrez aisément, chères collègues, qu’une fraîche conversion à la vertu évaluative de l’Impact factor dans une discipline aussi rhapsodique que la psychologie pourrait produire des conséquences catastrophiques pour l’ensemble de notre communauté.
Nous vous demandons donc de bien vouloir renoncer à ce classement bibliométrique des revues et de créer, en tant qu’élues syndicales, les conditions d’une authentique évaluation fondée sur la valeur des travaux et l’estime des pairs.
Dans cette attente, nous vous prions de croire, chères collègues, à l’expression de nos pensées les plus cordiales.
Roland Gori, président du SIUEERPP
Alain Abelhauser, secrétaire général du SIUEERPP
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